Lettre pastorale sur les jeunes Monseigneur Luc Ravel
Les trois étapes de la pédagogie concrète (suite et fin)
- Eux avec nous. La troisième étape de la vraie jeunesse voit la présence de l’adulte diminuer : eux avec nous et nous pour eux. C’est l’ordre inverse de l’étape précédente. Au cœur de sa jeunesse, le jeune a quitté le champ de la responsabilité des adultes. Il entre dans le sien propre. Il s’assume par des initiatives personnelles. Il bouillonne d’idées, parfois un peu brouillonnes, et il sent en lui la capacité à transformer ces idées en projets. Il a compris que pour passer de l’idée au projet, il fallait prendre des moyens. Les aider à trouver les bons moyens, à se frotter au réel y compris financier, à élaborer un échéancier par exemple, à trouver des aides et des partenaires, voilà ce qu’il reste aux adultes. S’ils l’ont compris, ils s’inscrivent en douceur et avec délicatesse dans l’élan des jeunes.
À ce moment-là, le rêve, c’est celui du jeune. Le projet, c’est celui du jeune. L’action, c’est celle du jeune avec l’adulte.
Le renversement de perspective n’est pas immédiat pour l’adulte qui veut bien faire. Il s’invite avec justesse dans cette troisième étape quand il laisse du champ aux jeunes, y compris (et surtout) du champ géographique. Il s’écarte à certains moments. En se mettant volontairement à distance des jeunes, l’adulte éprouve un sentiment de perte. La présence proche des jeunes lui donne tant de vitalité ! Mais il faut consentir… Et accepter, un peu plus tard, les retrouvailles entre adultes.
Il me revient ma première rencontre entre égaux avec mon père. Là encore, c’était l’année de mes vingt ans. Année bénie où je partais faire mon service militaire au mois de septembre. Au bout de mes EOR, après cinq mois de formation pour devenir chef de section, j’avais choisi, sur les conseils de mon commandant de compagnie qui en venait, un magnifique régiment de parachutistes, le 1er RCP, alors à Pau. Fureur de ma mère quand elle l’apprit : « Pourquoi prendre ces risques ? Mais as-tu conscience des risques ?
Qui t’a mis cette idée folle dans la tête ? » Je passe les cris d’une mère aimante. Mon père se taisait avec une belle intelligence de situation. Il est des fois où le silence évite le pire. Le lendemain, je dînais tout seul avec mon père. Et pour la première fois, j’avais l’impression que nous parlions d’homme à homme. Il reconnaissait en moi l’homme qu’il avait été quarante ans auparavant. J’étais toujours son fils mais la relation verticale était devenue horizontale. Magnifique moment à jamais gravé dans ma mémoire. Des conseils, il m’en donnera encore. Mais des initiatives, il n’en prendra plus jamais pour moi.
- Eux sans nous. Le printemps s’achève, l’été commence, c’est la dernière étape de la jeunesse ou plutôt le passage à la maturité. C’était aussi la fin visée de façon ultime derrière tous nos buts pratiques. Quelle joie de sentir qu’ils n’ont plus besoin de nous pour réaliser leur rêve ! Rassurons-nous : ils seront toujours heureux de la présence d’une grand mère pour garder leurs enfants ou d’un coup de main pour déménager. Et, un jour, ce sera « eux pour nous », lorsque, courbés sous le poids des ans, nous les appellerons à l’aide.